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Archives Mensuelles: octobre 2013

La fille seule dans le vestiaire des garçons : roman coup de poing !

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Voilà un récit à la fois plein de rage et de notes d’humour.
Cela peut paraître paradoxal, mais c’est à l’image de la vie, que 
Ben Kemoun sait parfaitement refléter.
Marion est une jeune fille a priori intelligente et sensible, mais en perte de repères et dont la rage va exploser à la suite d’une humiliation. Le thème de la trahison, la duperie des sentiments est central, couplé au pouvoir amplificateur maléfique du web. Youtube est le moteur d’une diffusion extraordinaire. Enzo est en effet bien plus psychologue et expérimenté et sait comment « emballer ». Marion tombe dans les pommes et refuse d’affronter le regard des autres. Elle se retrouve alors rasée (pour lui faire quelques points de suture…) ; l’auteur a-t-il voulu faire un parallèle avec l’après guerre ? Marion ayant fauté avec son ennemi se retrouve à vif. Elle ourdit alors sa vengeance. 
Mais heureusement le récit est ponctué de scènes humoristiques avec son jeune frère Barnabé. Très fin, et vivant dans un monde imaginaire il est le lien avec la vie normale. La mère de Marion est dépassée par ses propres soucis malgré les au secours que lui lance la jeune fille. Les scènes familiales sont des moments savoureux, en particulier par les dialogues à tiroir entre le frère et la soeur.
L’écriture est aisée et on a l’impression d’être vraiment dans la tête de la jeune fille. Le style est assez coulant pour se faire oublier. Les nombreuses saillies ironiques nous arrachent un sourire. Quelques trouvailles restent en tête.
Le rythme du livre est parfait, on le lit d’une seule traite. Les pensées de Marion sont toujours inclues dans les scènes de vie. L’intensité du récit fait qu’on ne peut pas le reposer. L’accélération finale à partir de « la vengeance » tient en haleine.
La fin m’a paru un peu trop facile. A vrai dire j’avais peur d’une fin catastrophique pour l’héroïne. Des princes charmants apparaissent comme par miracle. Du coup le chapitre 13 ma laissé songeuse : l’héroïne, pétrie de ses qualités de littéraires, de chanteuse et de gentille fille se trouve enfin a sa juste place : adulée et non plus méprisée. Bon cela colle avec sa personnalité mais on passe complètement sous silence les conséquences de ses actes. D’une part ce récit ultra réaliste devient un peu conte de fée, d’autre part il n’y a aucune réflexion sur la gravité de ses actes à elle. Elle a compris que sa vengeance ne lui apportait rien, mais elle n’est pas mise face à ses responsabilités. Cela ne m’a pas gâché le plaisir de lecture pour autant car j’ai adoré cette écriture.
J’ai hâte de découvrir les autres titres de cet auteur, qui sait si bien retranscrire les émotions d’une jeune fille de 15 ans. Belle prouesse.

 
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Publié par le octobre 30, 2013 dans Jeunesse, réaliste, Roman

 

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Les aventures des trois princes de Serendip ; voyage en sérendipité : clin d’œil aux amis docs

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J’ai reçu cet ouvrage grâce à l’opération « masse critique » de Babelio (un livre contre une critique). J’ai été immédiatement attirée par le titre. Combien d’amis n’ai-je pas bassinés au cours d’une soirée avec le fameux concept de sérendipité ? Ce « lumineux objet du désir épistémique » comme le dit Marie-Anne Paveau dans le chapitre passionnant qui clôt le livre. Tous ceux qui sont passé par la préparation au concours de documentaliste voient de quoi il s’agit. Calqué sur l’anglais « serendipity », cela désigne la capacité à trouver…ce qu’on ne cherchait pas ! Le « hasard fécond » est souvent utilisé dans la sphère du web 2.0.

J’allais enfin avoir la clé de l’origine du mot et connaître le conte original. Louis de Mailly en est l’auteur, ou plutôt le traducteur-traître. Il s’inspire d’un récit italien de Armeno, mais se détache rapidement pour créer ses propres histoires. Ce conte est un récit enchâssé qui introduit 9 nouvelles. Dès les premières pages, le lecteur français se retrouve face à une perspicacité qui rappelle Zadig, de Voltaire. La scène du chameau a  d’ailleurs largement inspiré ce dernier (rappelez-vous du cheval et de la chienne perdus). Bref cela commence plaisamment. Mais pour la suite j’avoue que le lecture des contes insérés m’a peu passionné. On y trouve beaucoup de « gens de qualité », c’est à dire des princes et princesses sages et prudes, des magiciens et des démons mais le thème principal est surtout l’amour. Notamment la question de la passion et de la fidélité. Les hommes n’y ont pas le beau rôle, inconstants et inutilement jaloux le plus souvent. L’auteur veut à la fois plaire et édifier un public de son époque qui aime les romances. Un peu ennuyeux. A côté des Mille et une Nuit, cela fait bien pâle figure.

Les princes de Sérendip ne sont pas très intéressants. Mais c’est un texte à connaître ne serait-ce que pour son influence. L’orient y est miraculeux. J’ai d’ailleurs été déstabilisée par l’alliance entre le souci de rationalité et celui du merveilleux. Il me semble incroyable que dans un premier temps les princes résolvent les mystères grâce à leur perspicacité et leur sens de l’observation, puis par une espèce de sens magique. Quand il s’agit du chameau les indices sont factuels : l’herbe est rongée, les empreintes du chameau et le la femme sur le chemin, les fourmis et les mouches. Par contre quand il s’agit du repas, les impressions dominent : « le coeur accablé de tristesse ». Finalement ces princes sont plus des magiciens que des détectives.

Par contre j’ai adoré la partie documentaire qui est vraiment très bien présentée et complète. Un chapitre « une belle infidèle endormie » nous explique l’histoire du manuscrit et compare justement les textes. Le chapitre « Serendipity : suite anglaise » nous montre comment l’expression a été créée et employée par Horace Walpole. Et le chapitre final, comme je l’ai dit précédemment le plus intéressant à mes yeux, donne tous les détails sur la popularité de cette notion de nos jours. Trouvant le terme vilain à l’oreille, j’ai été ravie de découvrir le néologisme formé par les québécois, infatigables inventeurs de la langue : la fortuité.

Un ouvrage pour les curieux et les spécialistes.

« Que vous aimiez La Vie devant soi. ou Le Trône de Fer., Giono. ou Eric-Emmanuel Schmitt., Babelio vous invite toute l’année à découvrir des avis sur des livres. ou des extraits d’oeuvres. en allant sur Babelio.com. »

 
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Publié par le octobre 23, 2013 dans Conte, documentaire

 

Les Héritiers de l’Aube : c’est magiquement et réellement génial !

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Les héritiers de l’Aube est un superbe roman d’aventure, on ne peut qu’être emporté par son panache !

L’histoire se déroule au fil d’une lecture aisée et sans temps mort. Le principe du voyage dans le temps est ici exploité à fond, jusque dans les détails psychologiques et dans les tournures de langue des personnages. La couverture est très accrocheuse et se poursuit sur le dos et le quatrième de couverture. La fumée verte qui flotte sur les héros annonce des péripéties d’ordre fantastique, ce qui se vérifie tout à fait : un contexte réaliste, des interventions magiques. On retrouve la magie Fomoré chère à l’auteur.

Nous commençons le roman de manière très naturelle en suivant le jeune Alex, apprenti journaliste idéaliste, un garçon d’aujourd’hui. Dès la fin du chapitre 1 il se trouve face à des « monstres » qui l’enverront en mission dans le passé. Pour les fan des Haut-Conteurs, nous reconnaissons ici les deux spectres de moines que l’on a fréquenté dans les tomes 4 et 5 de cette série (les tunnels maléfiques Fomoré par exemple). Personnages étranges, ils ne sont pas réellement agressifs, mais pour le moins ambigus. Nous découvrons ensuite au fil des pages deux autres héros : Laure, qui vient du XVIIIe siècle, fille fort habile et maline, et Tom, le garçon débrouillard du XIXe siècle, sorte de petit Oliver Twist gouailleur. Tout l’intérêt des interactions entre ces trois là vient du décalage permanent entre leurs cultures d’origines. Ainsi Tom, habitué à se battre pour sa survie, paraît rustre à Alex, et Laure femme libre en son siècle lui semble conservatrice. Quant à eux ils trouvent facilement Alex prétentieux avec les « connaissances historiques » qu’il peut leur asséner sur leur époque et leur futur. Les expressions vont aussi être souvent sujet de dispute ou de rire. J’ai relevé avec plaisir le « je ne te dis pas… » d’Alex, repris par Laure : « pourquoi ne le dis-tu pas ?». C’est vrai que la prétérition est bien un signe de notre temps. Toutes leurs interactions sont prétexte à de savoureux échanges.

Nos héritiers se retrouvent donc tous trois dans une époque qu’ils n’arrivent pas au départ à appréhender. Ils savent être en époque médiévale (c’est vaste). Laure semble là plus à même de les aider à survivre dans ce temps. C’est seulement en arrivant à Paris, au terme d’un voyage éprouvant qu’ils pourront se repérer, ils sont en pleine guerre de cent ans. Le personnage de Nicolas Flamel est introduit dans l’histoire et le Paris de l’époque est restitué dans tous ces détails : les rues, les combats, la mort omniprésente, les factions rivales. La carte dessinée en deuxième de couverture est belle, mais il vaut encore mieux se laisser porter par les descriptions lors de cette arrivée. On apprécie fortement par contre le tableau des personnages (Armagnacs et Bourguignons), placé en tête du chapitre d’entrée dans Paris. La profusion des personnages à partir de ce moment rend nécessaire d’avoir les idées bien claires sur les forces en présence.

Dans cette époque les trois se débrouillent plutôt bien. Les objets « du futur » jouent aussi un rôle important. Les pistolets de Laure sont vus comme des « bâtons du diable », le briquet d’Alex comme la preuve qu’il est le maître de l’enfer. Leur statut de « sorcier », du point de vue de l’époque, leur cause parfois du tort, mais plus souvent les tire d’affaire. Quand à la sorcellerie, ils en sont en partie pourvus. En effet les « héritiers » sont bien détenteurs de pouvoirs, latents, qu’ils doivent apprendre à contrôler. Ils en ont bien besoin au vue de leurs ennemis. Car un bon roman tient par des méchants de grand calibre, tel Hermès. La première scène d’attaque du démon dès le chapitre 3 laisse des frissons dans le dos. Par la suite nos trois alliés font face à la meute terrifiante des « cagots », monstres noir et filiformes, et sans yeux, créés par le démon. Ils seront poursuivis tout au long du roman par ces êtres qui cherchent comme eux une pierre magique, pour la rapporter à leur maître. Hermès quant à lui peut prendre la forme de n’importe qui, ce qui rend difficile à prévoir ces attaques. Mais les humains « mauvais » ne sont pas en reste pour se mettre sur le chemin des héros, comme Tonin le Cramoisi chef sanguinaire qui donnera l’occasion d‘une scène de combat époustouflante sur les hauteurs de Notre-Dame. Alex y affronte en duel ce guerrier redoutable sur un arc-boutant au dessus du vide. Enfin deux sortes de chimères, créés par un maléfice dont je ne peux rien dire pour ne pas vous gâcher la surprise, viennent fondre sur Paris au cœur même des combats des hommes : torches humanoïdes et gargouilles. Du grand spectacle.

Finalement lors du chapitre ultime un moment historique particulièrement important est abordé pour l’apothéose du combat final. Là encore l’auteur se plaît à marier les détails historiques véridiques avec les éléments fantastiques de son récit. En refermant le livre on se dit que cette aventure au XIVe siècle était bien haletante et l’on a hâte de retrouver nos héros. De fait on s’attache au cours du récit à ses personnages. Une femme forte qui se tire toujours d’affaire, un garçon plein de surprise mais encore espiègle, un jeune homme courageux et qui fait le lien avec le lecteur.

En bref, j’ai adoré ce livre que je recommande chaudement. 😉

-J’y crois pas ! maugréa Alex en s’asseyant dans la paille épaisse qui parsemait la vieille grange.

-A quoi ne crois-tu pas ? s’enquit distraitement Laure, affairée à découper les tranches de lard du bout de sa dague.

-Laisse tomber c’est une expression de mon époque. Ces guenilles puent tellement le bouc que, si je respire par le nez, je vais tomber raide. Et je ne te parle pas du parfum de cette bestiole.

-Tu exagères objecta-t-elle en jetant un regard amical au cheval qui broutait à trois mètre d’eux. J’admets que les vêtements du soudard sentent fort, mais l’odeur des bêtes est chose naturelle. Auriez-vous perdu le goût de la bonne vie, dans ton futur ?