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Archives de Catégorie: historique-fantastique

L’enjomineur, 1792 : chef-d’oeuvre

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Du grand art : une histoire profonde et intéressante sur fond historique, tout ce que j’aime ! C’est extrêmement documenté et très bien écrit.

Tout d’abord bravo à l’auteur de nous faire entrer dans la grande histoire avec autant de brio. Après un premier chapitre qui sert avant tout à poser l’intrigue, on suit dès le deuxième, le personnage d’Emile dans le bocage vendéen et l’on est confronté au patois. Là on peut dire que ça passe ou ça casse : les phrases sont abruptes et sans traduction on pourrait se détourner du récit par paresse. Mais en fait, on entre comme dans du beurre dans cette « langue » à condition de se laisser porter et de ne pas s’agacer de ne pas tout comprendre parfaitement. Ensuite par accumulation et déduction on comprend les dialogues facilement, en particulier parce que les réponses sont en français. On referme le livre en ayant retenu ce magnifique juron :  » grand fils de vesse ». Ce patois crédibilise le récit et nous immerge dans une époque.

L’autre tour de force, à mon avis, consiste dans le choix des personnages. Sur le sujet des guerres de Vendée, qu’aurait pu choisir un auteur lambda pour présenter les points de vue ? Un chouan royaliste contre un révolutionnaire anticlérical ? C’est bien plus subtil… Pierre Bordage propose deux personnages « décentrés » qui pour des raisons différentes ne prennent pas parti. Pour l’un, Emile, c’est parce qu’il est lettré et raisonne en véritable humaniste, effrayé des passions qui montent et de la guerre qui se prépare, et pour l’autre, Cornuaud, parce qu’en fieffé coquin, il ne voit que son propre intérêt dans toute situation et ne possède aucun idéal. Et c’est cette distanciation qui va justement apporter le meilleur éclairage. Toutes leurs rencontres avec des paysans, des nobles, des gredins, de bons citoyens, des brutes sanguinaires… vont occasionner des dialogues qui nous permettent de mieux comprendre le contexte et les raisons de chacun. J’ai trouvé ça parfaitement dosé. De plus les deux personnages se répondent en miroir, l’un incarnant le bien et l’autre le mal, chacun menant sa quête (retrouver la femme aimée/se débarrasser d’un maléfice), et évoluant pour finalement peu à peu devenir un duo moins manichéen.

La question de la présence de la magie enfin me fait classer ce roman dans le bon fantastique, même si la fin de ce premier tome tranche la question. Il y a d’une part la question de la magie Vaudou, car l’on se demande si l’envoutement de la sorcière est imaginaire ou si ce sont les remords qui rongent Cornuaud. D’autre part Emile, rationaliste, refuse toute incursion de la magie dans sa vie avant de devoir se rendre à l’évidence.

Un excellent roman, qui mène à deux tomes complémentaires : 1793 et 1794. J’ai hâte de les lire !!!

 
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Publié par le septembre 19, 2017 dans historique-fantastique, Roman

 

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La voie des oracles, t.1 Thya : un passionnant voyage en Gaule

 

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Maintenant que j’ai fini la trilogie, et que j’ai mon exemplaire dédicacé, il est grand temps de faire une chronique de la Voie des oracles. C’est vraiment ma série coup de cœur de cette année scolaire 2016-2017.

Tout d’abord ce premier récit réunit tous les ingrédients de base pour me séduire : avant tout une belle langue, du français qui coule tout seul et une érudition jamais surfaite mais qui sert totalement le récit. Les mots en latin s’intègrent complètement. Ensuite donc le contexte : j’adore les récits historiques, en particulier de l’antiquité au moyen-âge, et là bingo, le Vème siècle, une période charnière passionnante. Beaucoup de réalisme dans le traitement avec l’évocation des tenues, des habitudes quotidiennes, et des liens sociaux. Troisième point : un bonne dose de fantastique qui s’appuie sur ce contexte historique avec les thème des oracles. Enfin un scénario en forme de fuite sans répit, qui ne peut donner qu’envie d’avancer dans la lecture.

Le personnage de Thya m’a paru très intéressant d’un point de vue psychologique. Il y a quelque chose de très beau dans sa manière d‘être une actrice de sa propre vie, alors même que le Destin est une notion qui pourrait la paralyser. Elle est à la fois très innocente car peu éduquée au Monde social mais extrêmement réactive aux situations.

J’ai trouvé que la relation telle qu’elle se développe avec Enoch est réaliste et peut parler à de nombreuses jeunes filles pour qui se trouver soi-même passe avant les engouements légers de l’adolescence. Elle n’en est pas moins attirée, la sexualité n’est pas niée. C’est a priori plus young adult que « ado » dans l’intention et justement ça donne envie de le faire lire aux ados car c’est tout le contraire du gnan-gnan auquel ils sont souvent cantonnés.

J’ai adoré évidemment tous les personnages mythologiques comme le faune, l’ondine et le dieu Culsans. Mais découvert aussi avec plaisir les nodes…

Le tome 2 monte d’un cran au niveau du fantastique et nous dépayse (et m’a fait pleurer…), le tome 3 clôt magistralement la série avec une sorte d’uchronie dont je ne peux parler sans déflorer le suspens.

Bref, vous l’avez compris, je suis fan !

 
 

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Victor London : un roman à rebondissements qui laisse pantois et ravi

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Voici un roman d’aventure qui décoiffe…votre chapeau haut de forme. C’est surtout par son rythme haletant que l’on reste scotché au fauteuil. Embarqué en plein XIXe siècle, siècle de l’exploitation des masses miséreuses, on suit le jeune Victor, un surdoué orphelin qui ramasse des bouts de laine dans une usine. Enlevé, au sens propre, à son quotidien morose, il n’aura de cesse de regretter cette vie insipide tant les dangers extrêmes le menacent à chaque instant. C’est à la fois un véritable tableau des mœurs victoriennes, et un dérapage contrôlé vers le monde steampunk. 

Je m’explique : tout d’abord nous avons, comme toujours chez Patrick Mc Spare, une immersion dans une époque de par les costumes, les ambiances, les odeurs, les lieux. On note la dichotomie entre East end (quartiers nauséabonds des travailleurs) et West end (chez les riches ). Quelques endroits typiques sont abondamment décrits : la manufacture de laine, une workhouse (lieu où sont parqués les travailleurs enfants et adultes), deux pubs malfamés,  la luxueuse maison Summerfield, les grands hôtels. On en apprend à chaque page, notamment qu’il existait un metro à Londres dès 1863. Les mœurs sont montrés dans l’action : il est normal de faire travailler les enfants, de réprimer toute velléité syndicale, d’éviter de sortir la nuit si l’on craint les détrousseurs. De ne pas chiquer si l’on est une femme…

Par ailleurs, l’auteur dévie, avec le thème des sociétés secrètes, vers une ambiance « steampunk », (« steam », la vapeur, étant synonyme de progrès technique, on procède à des anachronismes). Ainsi Cosruscants et Impérieux, les deux factions rivales, rivalisent d’imagination pour se battre avec des armes ou moyens qui n’étaient pas encore produits à cette époque. Je parle cependant de « dérapage contrôlé », car l’auteur met un point d’honneur à rester dans le plausible. Un exemple : les boîtiers de transmission vocale des coruscants, que l’on peut assimiler à des téléphones ou des talkies walkies n’existaient pas mais sont vraisemblables dans l’histoire. De même pour les canots à hélice ou les masques portatifs à oxygène. Les combats sont à la fois incroyables avec tous ces gadgets, mais aussi réalistes pour ce qui est des corps à corps.

Enfin l’auteur embraye tout de même sur un registre fantastique avec le « générateur vibratoire », qui reste à la fois un motif steampunk  (machine à énergie mystique), mais nous fait basculer vers l’irréel dans les derniers chapitres. La dernière partie de l’ouvrage qui nous entraine en Perse, dans un voyage à la Indiana Jones, nous sort de cet univers londonien que l’on commençait à maîtriser et nous propulse dans un bouquet final d’actions et de révélations.

Le point fort de l’intrigue repose sur les rebondissements, plus précisément les retournements de point de vue sur les personnages. Placé à même enseigne que Victor, le lecteur ne peut que se perdre en conjecture. A priori nous savons qu’il y a le groupe de Coruscants qui enlève Victor : Charlie très habile et très intelligent, Kelly une dangereuse et déterminée jeune femme et Sourad surnommé « l’Ombre qui tue ». Une galerie inquiétante, parmi laquelle on suppose que se dissimule un traître. A moins que…les informations donnée en ce sens à Victor par le non moins inquiétant Gothic soient erronées. Lui aussi prétend être un Coruscant. Tous seraient ennemis des Impérieux, dont le lecteur ne connait qu’un membre certain : le cruel comte Killgrave. A cela s’ajoute des patriotes irlandais et un tueur à gages. On comprend que le jeune garçon se sente menacé et perdu.

Victor aura des choix à faire et deviendra, de simple pion, un véritable héros. L’ humanisme auquel il aspire est guidé par la bonhomie de son ami Mike, le vendeur de journaux, mais encore par sa réflexion personnelle et une rencontre décisive avec le grand Victor Hugo. En ce sens il s’agit d’un roman d’apprentissage autant que d’aventure et l’épilogue nous le confirme.

Une lecture qui donne très envie d’avoir une suite pour profiter encore de cet univers si particulier. On serait ravi d’y replonger. A noter : la couverture est absolument magnifique, rien que pour ça, on craque sur ce livre.

 
 

Les Héritiers de l’Aube t.3, Hantise : le fin mot de l’Histoire

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Dans son style flamboyant coutumier, Patrick Mc Spare clôt ici sa nouvelle série. La couverture de Miguel Coimbra est de nouveau magnifique. On retrouve Alba et Laure prêtes à l’attaque pour interrompre une messe noire. Le décor cette fois ne nous renseigne par sur l’époque, puisqu’il s’agit de souterrains… Cette scène par contre est un élément fort du livre. Lorsque vous la lirez pour la première fois, vous n’y croirez pas…Je n’en dis pas plus.

Attention, si vous n’avez pas encore lu le tome 2, ne lisez pas cet avis au risque de vous gâcher quelques surprises de taille.

La pierre renvoie les Héritiers à Paris, mais au XVIIIe siècle, sous le règne du Roi Soleil. Obnubilé par son amour pour Mme de Maintenont, Louis XIV ne voit pas que certains membres de sa cour ont des mœurs bien dépravés. On est en pleine affaire des poisons : chantages, meurtres et messes noires  !

Tom et Alba ont fort à faire : Alex est passé à l’ennemi, Laure est très gravement blessée, et sans l’aide d’un improbable personnage (dont je reparlerai en conclusion), qui leur fournit quelques indications précieuses, ils ne survivraient pas plus de quelques minutes. Leur arrivée à Paris les conduit en pleine cour des miracles, face au Roi de Thunes (avec un clin d’œil à la série des Haut-Conteurs). Là, l’auteur s’en donne à cœur joie dans la description des bas-fonds. Dans un inventaire à la Prévert, il se plait à citer toutes les corporations de bandits. L’état de Laure, personnage sans doute le plus positif et essentiel jusqu’alors, joue avec nos nerfs autant qu’avec ceux de Tom. Le tour de passe-passe auquel se livre un primo-sorcier très manipulateur (et l’auteur par la même occasion), est incroyable.

Alex est le personnage que je trouve le plus intéressant dans cet épisode. Allié désormais à Hermès, dont il héberge l’essence maléfique, il veut récupérer la Pierre pour créer un monde parfait et pour cela faire table rase du passé. Il est donc dans le paradoxe de vouloir créer un monde idéal tout en tuant toute vie. Alex et Hermès se parlent à l’intérieur de son esprit, créant une fausse impression de schizophrénie et occasionnant surtout les principaux dialogues comiques du récit par leurs piques mutuelles. Mais Alex devient réellement schizophrène lors des brillantes scènes où sa conscience lui parle quand il est face à un miroir.

Le titre « Hantise », renvoie à un ennemi puissant qui vient s’ajouter au duo Hermès/Alex : un esprit frappeur tente en effet lui aussi de s’approprier la Pierre dont il a entrevu la puissance. Le fantôme en question a également quelques comptes à régler avec ceux qui l’ont assassiné (ses anciens acolytes, les dépravés organisant des messes noires justement) et n’est pas commode. Les scènes où il intervient sont assez « glaçantes » et mortelles et l’on pense inévitablement à quelque film d’horreur.

Le personnage trouble du primo-sorcier St Germain, qui ne veut pas se dévoiler, ne semble pas faire grand chose pour aider les Héritiers. On se doute de son identité, finalement on se trouve sur de fausses pistes, on recadre nos idées en fonction de la tournure des évènements…et on se fait avoir. Pour terminer sur la partie « Roi Soleil », la scène de combat final dans les jardins est digne d’un cauchemar.

La véritable clôture de l’aventure se passe à une autre époque et cet épilogue, s’intitule « La fin de la quête ». La scène finale avec l’affrontement inévitable entre les Héritiers et Hermès est rejouée plusieurs fois ! Grâce à un « deus ex machina », ils se déplacent dans le temps et les lieux, se rapprochant toujours plus du point crucial, celui qui décide de tout. Un détail coloré important, qui nous avait échappé bien sûr, à la lecture du chapitre East End du tome 1 va se révéler fondamental.

J’ai versé quelques larmes d’émotions dans les dernières pages. La trilogie se termine d’une manière suffisamment ouverte pour espérer revoir peut être certains personnages… En refermant l’ouvrage, l’on se prend à songer au fameux personnage intervenu lors du chapitre 1 et qui vient du futur. Ses paroles résonnent comme l’ultime révélation de l’univers mis en place par Patrick Mc Spare.

 

 

 
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Publié par le novembre 26, 2014 dans historique-fantastique, Roman

 

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Les Héritiers de l’Aube 2, Des profondeurs : vous serez secoués

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La première chose que l’on se dit dès que l’on pose les yeux sur ce tome : c’est « Waouw ! Cette couverture est absolument magnifique, il me faut ce livre ! »

Suivi de « Mais qui est cette fille? »

On retrouve avec plaisir nos trois jeunes héros, Alex, Laure et Tom, malheureusement séparés au moment de leur arrivée dans une nouvelle ère. Alex est toujours dans l’action, Laure en train de virevolter et l’on voit un peu plus Tom, toujours aussi dégourdi mais qui a du mal avec son pouvoir fluctuant. Dès le chapitre 3, on découvre finalement notre quatrième héritière, la fameuse brunette de la couverture, Alba donc. Elle a du caractère et son arrivée dans la bande ne se fera pas sans heurt. Cette espagnole est tourmentée, d’une part par le « changement de paradigme » brutal imposé par son déplacement dans le temps, mais également par les étranges perceptions ou visions qui l’accaparent (elle ne ressent que le mal tout autour). Comme elle a, de plus, un lourd évènement sur la conscience et aucun espoir de revoir son temps…cela en fait un personnage très « noir » mais terriblement attachant. Avant la fin du livre elle passera du statut de peste imbus d’elle-même à héroïne sensible préférée des lecteurs.

L’autre personnage superbe du livre est le primo-sorcier que nous rencontrons dans ce San Francisco du début du XXe siècle : Raspoutine, magnétique et truculent. Raspoutine aux USA ? Par un tour de magie dont il a le secret, l’auteur nous rend tout cela fort plausible somme toute, et se régale avec un descriptif des mœurs loin de l’american dream habituel. Vous verrez Frisco comme vous ne la connaissez pas : du China town au Baldwin hôtel,  des malfrats aux barons voleurs, en passant par toutes les rues et toutes les couches de la société. Mc Spare laisse dans cet épisode sa période de prédilection de côté (le moyen-âge, cf le tome 1 et la série des Haut-conteurs) et c’est une vraie réussite. On se délecte du décor sans que celui-ci ne vienne en rien ralentir l’action. Et bien sûr on glane toute sorte d’infos au passage : saviez-vous pour les ascenseurs ?

Les personnages des « méchants » valent aussi le détour. J’ai une fascination certaine pour l’élégant Lord Glasdow, mais quand on connait sa véritable nature…ça fait des frissons dans le dos. La belle démone Sélanka se révèle plus dangereuse et fine que Hermès et les Héritiers seront bien en peine de pouvoir la vaincre. Enfin le déplorable « iguane », qui semble tout droit sorti d’un film de super-méchant, est détestable au possible. L’évènement important (historique, mais je ne voudrais pas vous spoiler donc chut) qui se produit dans le dernier tiers du livre trouve ici une explication magique. Histoire et fantastique sont étroitement entremêlés pour notre plus grand plaisir de lecteur : vous vous souvenez de l’origine de la folie de Charles VI dans le tome 1 ? Voilà le genre de tour de passe-passe auquel vous allez avoir droit. Ce qui vous expliquera au passage le titre, que l’on peut comprendre de plusieurs façons.

La langue de l’auteur est toujours aussi agréable et travaillée et je n’hésiterais pas à dire que ce tome est encore meilleur que le premier ! Vraiment c’est une série dont j’ai hâte de lire la suite. J’ajoute que le récit se termine non seulement sur une fin ouverte, mais encore sur une ENORME surprise.

Insoutenable. Vivement la suite !

 

 

 

 
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Publié par le Mai 21, 2014 dans historique-fantastique, Roman

 

Comtesse Bathory : Fantastique !

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Le premier livre pour adulte de l’auteur est un coup de maître. Attention, c’est une histoire sombre et tourmentée pour public averti. Le choix du sujet parle de lui même : la comtesse Bathory est une femme ayant réellement existé et qui a fait assassiner des centaines de jeunes filles pour se livrer à des rituels sanglants. Les scènes violentes s’enchaînent, mais heureusement sans verser dans le gore. Ici l’ambiance gothique est travaillée par petites touches.

On retrouve ici la plume de Patrick Mc Spare, toujours aussi agréable à suivre dans les méandres de l’histoire. C’est au début du XVIIe siècle que prend place cette aventure. Dans le royaume de Hongrie un groupe de sombres individus prennent de l’emprise sur Erzebeth Bathory. Sa nourrice d’abord, puis Cadevrius Lecorpus, inquiétant « sorcier » et la charmeuse Anna. Les « voyages mentaux », que va effectuer la comtesse permettent par ailleurs des incursions dans trois autres périodes antérieures. Grâce à cet artifice bluffant, elle assiste ainsi à une bataille contre les infidèles en 1389, se retrouve à la cour de Sigismond 1er (XVe s.) et enfin rencontre un seigneur mythique de Transylvanie. Ces trois chapitres, au cœur de la construction du récit, sont mes favoris. C’est en se livrant à ce rituel que la comtesse « bascule » sur la pente de la folie et du meurtre sans remord. Le roman tente de répondre à la question : pourquoi et comment une puissante femme du XVIIe s, se livre-t-elle à d’odieux meurtres ? Au départ elle ne le souhaite pas, mais à la fin de cette aventure elle sera convaincue de l’efficacité de la magie du sang d’une part et de son droit sur la vie des autres d’autre part.

Face à elle se dressent des mercenaires, qui doivent retrouver une jeune fille et rassembler des preuves pour la faire arrêter. Les habitants ont en effet remarqué que de nombreuses jeunes filles disparaissaient au château et n’en revenaient jamais. Nous suivons principalement Janos Trencka, Vicoria Caldwell et Vincent De Guise, tandis qu’un puritain, détestablement campé, fait cavalier seul. Leur tâche est ardue car tout le monde redoute la Comtesse ; personne ne veut leur venir en aide. Ils sont divisés et ont peu de moyens et même leur employeur Hoffman ne leur dit pas toute la vérité.

A côté de la traque et des affrontements, on découvre des éléments inattendus, comme les deux histoires d’amour, ou plutôt de passions à sens unique. En dépit de leurs personnalités diamétralement opposées, Vincent de Guise et Erzebeth Bathory sont tous les deux des passionnés. Erzebeth est colérique, dominatrice et folle à lier mais vibre pour Anna ; tandis que Vincent humaniste et conciliant est troublé par Victoria. Leurs histoires évoluent en parallèle et connaissent la même fin. L’amour n’est vecteur d’aucun mieux être, seule la jolie scène d’amour entre Vincent et Victoria apporte un peu de légèreté au fil de ce récit désespérant. Mais ce n’est que de courte durée.

 

Le chapitre final est particulièrement bien tourné. Il s’agit du journal de la Comtesse, et il nous amène au point crucial : le genre de ce roman. Le journal d’une folle ne peut que nous faire penser au Horla de Maupassant ou à une nouvelle de Lovecraft. Il s’agit d’un authentique récit fantastique, un genre dix-neuvièmiste quelque peu délaissé par nos contemporains. Et ça fait du bien d’en lire, car ici l’auteur joue vraiment avec le lecteur et laisse la porte ouverte sur deux interprétations. La notion de fantastique en littérature repose sur l’épouvante, l’incertitude, l’intervention d’éléments surnaturels dans un contexte réaliste, et selon Todorov l’impossibilité de trancher entre deux versions : la surnaturelle et celle de la folie. Ici on a le point de vue interne de deux personnages principalement : la Comtesse Bathory et Vincent. Les personnages influencés, drogués et manipulés peuvent être : Anna, Trevaux/Rais, les aventuriers et Bathory elle-même. Les manipulateurs Cadevrius et Wolf. La personne la plus influençable serait Bathory, personnage qui pense avoir vu le plus de « choses incroyables ». Mais peut être les rituels magiques ont-ils vraiment fonctionné, et peut être Cadevrius est-il l’élu du Diable. A vous de lire 😉

 
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Publié par le novembre 6, 2013 dans historique-fantastique, Roman

 

Les Héritiers de l’Aube : c’est magiquement et réellement génial !

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Les héritiers de l’Aube est un superbe roman d’aventure, on ne peut qu’être emporté par son panache !

L’histoire se déroule au fil d’une lecture aisée et sans temps mort. Le principe du voyage dans le temps est ici exploité à fond, jusque dans les détails psychologiques et dans les tournures de langue des personnages. La couverture est très accrocheuse et se poursuit sur le dos et le quatrième de couverture. La fumée verte qui flotte sur les héros annonce des péripéties d’ordre fantastique, ce qui se vérifie tout à fait : un contexte réaliste, des interventions magiques. On retrouve la magie Fomoré chère à l’auteur.

Nous commençons le roman de manière très naturelle en suivant le jeune Alex, apprenti journaliste idéaliste, un garçon d’aujourd’hui. Dès la fin du chapitre 1 il se trouve face à des « monstres » qui l’enverront en mission dans le passé. Pour les fan des Haut-Conteurs, nous reconnaissons ici les deux spectres de moines que l’on a fréquenté dans les tomes 4 et 5 de cette série (les tunnels maléfiques Fomoré par exemple). Personnages étranges, ils ne sont pas réellement agressifs, mais pour le moins ambigus. Nous découvrons ensuite au fil des pages deux autres héros : Laure, qui vient du XVIIIe siècle, fille fort habile et maline, et Tom, le garçon débrouillard du XIXe siècle, sorte de petit Oliver Twist gouailleur. Tout l’intérêt des interactions entre ces trois là vient du décalage permanent entre leurs cultures d’origines. Ainsi Tom, habitué à se battre pour sa survie, paraît rustre à Alex, et Laure femme libre en son siècle lui semble conservatrice. Quant à eux ils trouvent facilement Alex prétentieux avec les « connaissances historiques » qu’il peut leur asséner sur leur époque et leur futur. Les expressions vont aussi être souvent sujet de dispute ou de rire. J’ai relevé avec plaisir le « je ne te dis pas… » d’Alex, repris par Laure : « pourquoi ne le dis-tu pas ?». C’est vrai que la prétérition est bien un signe de notre temps. Toutes leurs interactions sont prétexte à de savoureux échanges.

Nos héritiers se retrouvent donc tous trois dans une époque qu’ils n’arrivent pas au départ à appréhender. Ils savent être en époque médiévale (c’est vaste). Laure semble là plus à même de les aider à survivre dans ce temps. C’est seulement en arrivant à Paris, au terme d’un voyage éprouvant qu’ils pourront se repérer, ils sont en pleine guerre de cent ans. Le personnage de Nicolas Flamel est introduit dans l’histoire et le Paris de l’époque est restitué dans tous ces détails : les rues, les combats, la mort omniprésente, les factions rivales. La carte dessinée en deuxième de couverture est belle, mais il vaut encore mieux se laisser porter par les descriptions lors de cette arrivée. On apprécie fortement par contre le tableau des personnages (Armagnacs et Bourguignons), placé en tête du chapitre d’entrée dans Paris. La profusion des personnages à partir de ce moment rend nécessaire d’avoir les idées bien claires sur les forces en présence.

Dans cette époque les trois se débrouillent plutôt bien. Les objets « du futur » jouent aussi un rôle important. Les pistolets de Laure sont vus comme des « bâtons du diable », le briquet d’Alex comme la preuve qu’il est le maître de l’enfer. Leur statut de « sorcier », du point de vue de l’époque, leur cause parfois du tort, mais plus souvent les tire d’affaire. Quand à la sorcellerie, ils en sont en partie pourvus. En effet les « héritiers » sont bien détenteurs de pouvoirs, latents, qu’ils doivent apprendre à contrôler. Ils en ont bien besoin au vue de leurs ennemis. Car un bon roman tient par des méchants de grand calibre, tel Hermès. La première scène d’attaque du démon dès le chapitre 3 laisse des frissons dans le dos. Par la suite nos trois alliés font face à la meute terrifiante des « cagots », monstres noir et filiformes, et sans yeux, créés par le démon. Ils seront poursuivis tout au long du roman par ces êtres qui cherchent comme eux une pierre magique, pour la rapporter à leur maître. Hermès quant à lui peut prendre la forme de n’importe qui, ce qui rend difficile à prévoir ces attaques. Mais les humains « mauvais » ne sont pas en reste pour se mettre sur le chemin des héros, comme Tonin le Cramoisi chef sanguinaire qui donnera l’occasion d‘une scène de combat époustouflante sur les hauteurs de Notre-Dame. Alex y affronte en duel ce guerrier redoutable sur un arc-boutant au dessus du vide. Enfin deux sortes de chimères, créés par un maléfice dont je ne peux rien dire pour ne pas vous gâcher la surprise, viennent fondre sur Paris au cœur même des combats des hommes : torches humanoïdes et gargouilles. Du grand spectacle.

Finalement lors du chapitre ultime un moment historique particulièrement important est abordé pour l’apothéose du combat final. Là encore l’auteur se plaît à marier les détails historiques véridiques avec les éléments fantastiques de son récit. En refermant le livre on se dit que cette aventure au XIVe siècle était bien haletante et l’on a hâte de retrouver nos héros. De fait on s’attache au cours du récit à ses personnages. Une femme forte qui se tire toujours d’affaire, un garçon plein de surprise mais encore espiègle, un jeune homme courageux et qui fait le lien avec le lecteur.

En bref, j’ai adoré ce livre que je recommande chaudement. 😉

-J’y crois pas ! maugréa Alex en s’asseyant dans la paille épaisse qui parsemait la vieille grange.

-A quoi ne crois-tu pas ? s’enquit distraitement Laure, affairée à découper les tranches de lard du bout de sa dague.

-Laisse tomber c’est une expression de mon époque. Ces guenilles puent tellement le bouc que, si je respire par le nez, je vais tomber raide. Et je ne te parle pas du parfum de cette bestiole.

-Tu exagères objecta-t-elle en jetant un regard amical au cheval qui broutait à trois mètre d’eux. J’admets que les vêtements du soudard sentent fort, mais l’odeur des bêtes est chose naturelle. Auriez-vous perdu le goût de la bonne vie, dans ton futur ?

 
 

Moi, Tituba Sorcière… : histoire d’une femme noire

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Ce roman est à la fois un roman d’aventure, car la vie de Tituba sera pleine de rebondissements, un roman historique par ses détails sur les mœurs du XVIIe siècle et enfin un roman fantastique (car Tituba guérit ou rend malade).

Maryse Condé réinvente la vie de Tituba, fille de la Barbade qui se retrouve au cœur du procès des sorcières à Salem. A partir de la simple phrase « une esclave originaire des Antilles et pratiquant vraisemblablement le hodoo », elle façonne sa vie. Une vie de douleurs et d’espoirs.

J’ai fortement apprécié la caractérisation du personnage. Tituba est une enfant mal aimée de sa mère et qui, celle-ci tuée, se retrouve seule. Elle est élevée par Man Yaya, sorcière, qui meurt à son tour mais continue à la guider sous une forme « fantôme ». Tituba est plutôt douée pour survivre. Mais elle cause son propre malheur en tombant amoureuse. Éprise de John l’indien, esclave qui espère de sa maîtresse son affranchissement prochain, elle vit avec lui. Mais, à la suite d’un affrontement implacable entre les deux femmes, la maîtresse de John le revend et Tituba, pour ne pas le quitter, se laisse emmener. Elle se retrouve ainsi esclave, comme tous ceux de sa couleur, elle qui était libre. Sa condition de femme amoureuse la rend très humaine. Tout au long de l’aventure elle se montre sensée et sensible. Mais son amour inconditionnel des humains l’aveugle et elle se retrouve accusée de commercer avec Satan. Finalement acculée, lors d’un procès elle avouera ces crimes imaginaires. Mais Tituba est parfois faible et, à rebours de ses idéaux, elle se venge plusieurs fois.

Le roman est bien construit, dans l’ordre chronologique, sans temps mort. La galerie des personnages est passionnante : John l’indien, esclave hypocrite qui joue son rôle de « bon nègre » pour survivre, le pasteur Parris horrible et froid qui anémie tous ceux qui l’approchent, Hester la féministe adultère rencontrée en prison, Benjamin juif persécuté qui l’aimera, Christopher le « Marron » qui rêve d’attaquer enfin les plantations des maîtres blancs. Jusqu’au dernier personnage féminin avec lequel la boucle est bouclée.

L’écriture m’a paru d’abord déroutante car j’ai cru y déceler des anglicismes…surtout dans la première page, finalement le reste du roman est passé tout seul. C’est une belle langue qui se déroule sans heurts. On apprécie les particularismes des noirs des caraïbes ou de la société WASP dans les dialogues et certaines formulations (en narration interne externe).

Ce livre n’est pas particulièrement émouvant mais il est intense. On souffre, on vibre, on est en colère comme Tituba. L’écriture nous plonge dans un monde injuste où les hommes sont arrogants, les femmes des vipères, les blancs des monstres égoïstes. Tituba a bien conscience que sa condition de femme noire est la plus dure à tenir. Qui plus est, elle est sorcière, donc accusé de tous les maux par les blancs et crainte par ceux qu’elle soigne. Elle restera d’un bout à l’autre quelqu’un « à part », une sorte de tabou.

C’est une lecture qui transporte dans une époque dure, un monde que l’on oublie pas si facilement, le livre refermé. Une lecture envoutante et rude, empreinte d’un humanisme universel !

 
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Publié par le septembre 24, 2013 dans historique-fantastique, Roman