Petit bijou, ce roman à plusieurs voix bouscule. La littérature c’est « la hache qui brise la mer gelée en nous » disait Kafka. Ce roman, dit « jeunesse », parce qu’ils parait chez Gulfstream, collection « échos » parle à chacun de nous. Certes les principaux héros sont de jeunes adultes, mais les préoccupations qui les animent sont universelles : besoin de justice, d’équité, de révolte, recherche d’une société meilleure.
Lu ce samedi 8 novembre 2018, après-midi d’émeute à Paris et en France. J’ai eu l’impression de mieux comprendre les manifestants, d’être auprès d’eux : une fiction c’est paradoxalement plus parlant que les images qui tournent sur les chaînes d’info continue.
J’ai beaucoup apprécié d’une part le côté intense du récit : on suit les protagonistes sur une soirée, le final se déroulant au matin. Unité de temps qui donne une impression théâtrale. Également bien mené la construction avec les différents points de vue : c’est de la dentelle. Il s’agit d’une manifestation qui dégénère, et notamment du passage à tabac par la police d’Aurélien, un gars un peu paumé qui se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment. Tandis que J.B. et Polly tentent par tous les moyens de le mettre à l’abri et de lui porter secours, on suit aussi Harley embarqué au poste.
Pour éviter le manichéisme, face à ces jeunes en rébellion on a le point de vue du lieutenant de police, débordé, qui tente de faire le tri entre vrais casseurs et manifestants pacifistes. Ce lieutenant communique avec sa fille, présente à la manif, qui fait le lien entre les deux camps. Tous ces récits sont encadrés par celui de Samia, la blogeuse (qui nous fait penser à Solange te parle ou Klaire fait Grr).
Le récit est réaliste et très contemporain, notamment du fait de l’incorporation des nouvelles technologies : envois de sms, mode des vidéo-blog, propagation des mots d’ordre via les réseaux sociaux. Pour l’ancrer dans le concret, Samia est une rescapée des attentats du Bataclan. Cette évènement est un point central : c’est d’abord le traumatisme qu’il induit pour le personnage de Samia. Elle est malade à l’idée d’être seule dans une foule et panique aux sons de coup de feu. Mais c’est aussi le prétexte du roman puisque les manifestants protestent contre l’inscription de l’état d’urgence dans la constitution. « Le Bataclan » est ainsi analysé comme le point de départ d’un tournant autoritaire et sécuritaire en France.
Cette lecture donc résonne particulièrement avec les évènements actuels. Tout y est et l’on se demande si Charlotte Bousquet à le don de Cassandre. Différence notable : les gens ne descendent pas en masse dans les rues pour les libertés, mais plutôt pour leurs besoins vitaux (comme manger, se déplacer, se chauffer…)
Une lecture que je recommande à tous, et en particulier aux jeunes adultes qui s’identifieront aisément aux protagonistes. L’histoire d’amour en filigrane et les échanges amicaux en cellule apportent une touche de légèreté. L’auteur termine sur une note positive en remerciant tous ceux qui refusent de se résigner. #OnVautMieuxQueCa
Enfin elle nous donne très envie de (re)récouvrir Louise Michel en émaillant son texte de références à « Prise de possession » dont elle nous conseille la lecture. Cela me ramène à des lectures récentes : l’excellent série « Communardes » et à ma prochaine : Louise Michel, la vierge rouge (BD).