Quality Land est un excellent livre d’anticipation, bourré d’humour. Enfin d’anticipation…très proche quand même, on y parle de demain disons…
La référence au roman Le meilleur des monde d’Huxley est explicite dès l’introduction : « ce n’est pas un pays exceptionnel, mais exceptionnellissime ». On retrouve un héros masculin qui s’interroge sur le système et cherche à rencontrer celui qui tire les ficelles pour lui faire part de son mécontentement sur la société. Point de sauvage en contre-point mais une femme qui semble vivre « hors des clous ». Kiki jeune femme insaisissable, est obsédée par le fait d’être imprévisible pour échapper au système. Elle introduira aussi le héros auprès d’un hacker, Le Vieux, obsédé, lui, par l’intelligence artificielle et qui travaille secrètement à supprimer internet.
Il faut dire que ce futur présente toute les imperfections en germe aujourd’hui : la société de contrôle des individus, dans un ultra-libéralisme stupide qui vise à fournir à chacun selon ses « besoins », avant qu’ils ne soient même émis. Le pays est géré par un cabinet de consulting, chacun est enfermé dans sa bulle informationnelle, toutes les livraisons se font par drones, la notation sociale décide de votre emploi et votre parcours amoureux...Dans ce monde les humains sont complètement robotisés. A l’inverse, chez certains robots un caractère et une conscience semble émerger. L’intelligence artificielle a fait de tels progrès qu’on envisage de faire élire l’un d’eux comme Président. Même les aspects qui pourraient sembler un progrès sont illusoires, ainsi le parc de voiture devient autonome et le plus économique possible. Mais de ce fait les humains utilisent encore plus la voiture pour des déplacements inutiles.
Les humains sont complètement en symbiose avec leur « Quality Pad », comprenez leur portable, ainsi que leur « ver d’oreille ». Les lentilles de réalités augmentées permettent le port illimité de « lunettes roses » pour améliorer son existence. Seul Peter, choqué d’avoir reçu un vibro dauphin non désiré, va s’agiter pour sortir du chemin tracé pour lui. Pour cela il pourra compter sur quelques machines défectueuses qu’il a sauvé dans sa casse et de l’énigmatique Kiki.
Les questionnements philosophiques sont sous-jacents dans l’humour tout au long du livre, en particulier lors des « pages de pub », et parfois en clair. On en a un développement très précis dans le chapitre « viande hachée » où Peter rencontre le Vieux qui le bombarde de questions vertigineuses de « Crains-tu Dieu ? », à « Qui pourrait reprocher à une superintelligence toute-puissante, omniprésente, et omnisciente de développer un complexe de Dieu et de prendre exemple sur les dieux vengeurs de la mythologie ? » en passant par « le concept de super-intelligence ça te parle ? »
L’auteur va même jusqu’à se remplacer lui-même par une IA, comme on le comprend dans le para-texte précédent la page de titre : « note sur la version ». On y apprend que l’on détient la version 1,6 du roman et il est signé de Calliope 7.3, personnage que Peter rencontrera. Cette intelligence artificielle androïde rêve d’être écrivaine. A la fin du roman elle remercie ses lecteurs : « très chers lectrices et lecteurs, honorables formes de vie extraterrestres fort probablement existantes, vénérables intelligences artificielles, très honorables algorithme de recherche et super intelligence potentiellement en phase d’émergence… » On voit que les humains sont désormais au bas de la hiérarchie. On trouvera aussi un clin d’œil à la page de pub des livres à la demande « des livres 100 % à ton goût », qui brocarde la tendance du marché de l’édition à offrir au lecteur ce qu’il attend.
Pour conclure une lecture à la fois agréable par son style humoristique et glaçante par ses thèmes, tous plus effrayants les uns que les autres. Peu d’espoir en l’humanité en ressort. Pour un peu on serait d’accord avec le Vieux :
« -Si Dieu apparaît, cela marquera donc l’extinction de l’espèce humaine ?
– Ce ne serait pas le pire scénario. »